On parle souvent de Neutralité du Net chez les Pirates. Mais pour la plupart des gens, la signification de ces trois mots est vague. Ils se disent probablement qu’il s’agit d’un concept intéressant, mais que c’est un outil contre une menace lointaine… Faut-il vraiment s’en soucier maintenant ? C’est vrai quoi, on ne se laissera pas faire quand une société privée censurera internet à son avantage.
Et bien non, il s’agit bien d’une menace réelle et contemporaine. En voici un exemple, parmi tant d’autres : la pub de Mobistar que l’on peut observer dans nos rues cette semaine.
De quoi s’agit-il ?
Un abonnement qui permet un accès illimité (enfin, dans la limite du raisonnable) à Facebook (et à des SMS). Rien de bien méchant en apparence. Absolument rien d’illégal. Qui plus est, il s’agit certainement d’un produit qui répond à une demande. En gros, c’est génial, non ?
Ma traduction
Oui, OK. Mais moi j’ai une autre vision de cette offre. Les ados et les enfants (!!) sont probablement le cœur de cible de ce produit. Budget limité, donc. On fera l’hypothèse qu’ils ne dépassent pas (ou en tout cas ils essaient de ne pas dépasser) leur budget.
Du coup, on en arrive à la situation suivante : une société privée offre à ses clients (contre paiement) un accès à internet, qui pour moi, est un réseau à finalité publique, vu son importance. Mais cet accès est limité à Facebook, une autre société privée. Si le client veut aller sur Wikipedia, le site du Parti Pirate ou sur eBay, il doit payer un supplément, ce qui n’est pas dans ses moyens, vu son budget réduit.
Je répète : Officiellement, ils ont internet. Techniquement, ils ont internet. Mais une société privée met en place arbitrairement et en fonction de ses propres intérêts, certains filtres. Ceux-ci permettent à cette société de choisir les contenus payants ou non d’un réseau qui, par essence, ne fait pas de différence entre Facebook, Wikipédia ou le site de ma commune.
Et alors ?
Même dit comme ça, on pourrait penser que ce n’est pas si grave. Après tout, le client choisit son abonnement et il sait à quoi s’attendre. Dans ce cas, j’aime beaucoup la comparaison avec un autre réseau, qui est, comme internet, à finalité publique et hautement stratégique : la distribution d’eau 1.
Imaginez donc cette situation avec l’eau : vous payez votre consommation avec un prix fixe pour boire l’eau du robinet. Mais vous payerez plus cher si vous prenez de l’eau pour faire une grenadine. Encore plus cher si vous prenez un bain. Nous verrions alors fleurir un abonnement « spécial printemps : arrosage de vos fleurs au prix de l’eau à boire » ; « Spécial été : offrez-vous une douche raffraichissante au prix de la grenadine » ! Tout ça parce qu’on a permis à la société de distribution d’eau d’installer des filtres et des contrôles.
Un autre exemple ? Vous achetez une voiture FaceCarBook® (votre accès à l’autoroute). Mais c’est une version spéciale « jeune ». Elle est donc munie d’un système qui l’empêche de tourner quand vous voulez quitter l’autoroute sur une autre sortie que vers « FaceNightBook® » (Boite de Nuit), « FaceMallBook® » (Centre commercial) ou « FaceWalibiBook® ». Ben oui, si vous êtes jeunes, vous n’avez pas besoin d’aller à la bibliothèque ou à la montagne.
Complètement imbécile ? Peu éthique ? Techniquement idiot ?
Pas plus que de limiter internet à Facebook.
Un pas plus loin
Les conséquences de ce modèle sont pour l’instant limitées, quoique profondes : une jeunesse qui croit que Facebook EST internet. Qu’internet EST Facebook.
Mais l’étape suivante n’est pas loin. Imaginons que Facebook passe un accord avec FranceTelecom et Orange (dont dépend Mobistar) en 2013. Pourquoi pas, après tout ? Qui les empêche d’augmenter encore les prix pour ce qui n’est pas Facebook en 2014 ? Qui les empêche de limiter exclusivement l’accès à Facebook et son microcosme en 2015 ?
Comme je pense que Facebook ne sera plus hégémonique en 2015, il est probablement plus réaliste d’imaginer ce scénario avec Google, par exemple, qui possède un réseau beaucoup plus complet (avec Gmail, Android, Google Drive, Google Maps — toute votre vie est imbriquée dans le système Google). Pire.
Mesdames et Messieurs, si vous pensiez que la neutralité des réseaux était une marotte de geek, j’espère que vous avez compris que ce n’est pas le cas. Les conséquences sont déjà là. Consommateurs avisés, mesurez bien les implications quand vous choisissez votre formule auprès de votre fournisseur préféré. La défense de la Neutralité du Net commence ici.
Notes:
- Cette comparaison a ses limites vu qu’on paye de la matière dans un cas et de l’information dans l’autre. Mais si on en tient compte, la comparaison me semble tout-à-fait pertinente. ↩